La première résidence artistique organisée par MuPa se déroule en 2025 et voit l’artiste polonaise Matylda Tracewska accueillie au sein du Muséum National d’Histoire naturelle de Paris.
Durant le mois de mars 2025, Matylda Tracewska accompagnée d’Eleonora Savorelli, curatrice de la résidence, sont venues une semaine au MnHn afin de rencontrer les scientifiques du muséum et ont pu échanger avec Pierre Sans-Jofre, responsable de la collection de géologie afin de définir plus précisément le projet de recherche et de choisir les pierres sur lesquelles Matylda Tracewska interviendra. La résidence se déroule tout au long du mois de septembre et propose deux journées de médiation à destination d’un public scolaire et de professionnels (artistes, curateurs, collectionneurs et journalistes).

Projet de recherche de la résidence
« Un des mondes. Pierres sensibles et homologies inattendues », est un projet à l’intersection des sciences naturelles, de l’ethnologie et de la philosophie. Le point de départ de cette recherche artistique tient dans les échanges portant sur des pierres spécifiques, témoins symboliques de la naissance de la vie sur terre, trait d’union entre la matière inerte et la vie: les stromatolithes.
Grâce à l’accompagnement des scientifiques du Muséum Pierre Sans-Jofre – Directeur et responsable scientifique du Département de Minéralogie et Géologie – et Sylvain Bernard – chercheur à l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie -, l’artiste Matylda Tracewska (Varsovie, Pologne, 1978) et la curatrice Eleonora Savorelli (Lugo di Romagna, Italie, 1997) ont décidé d’approfondir l’étude des stromatolithes en proposant une perspective artistique qui exploite les connaissances scientifiques et ethnologiques.
Le terme stromatolite vient du grec « stroma », qui signifie lit ou couche, et « lithos » qui signifie roche. Ces pierres présentent une série de stratifications qui donnent vie à des horizons imaginaires, des paysages, des nids, des embryons, à travers lesquels l’artiste va réfléchir et, en respectant leurs caractéristiques intrinsèques, créer un noyau d’oeuvres dans une modalité inédite.
Les stromatolithes confirment la présence de matière organique et d’oxygène sur terre il y a 3,5 milliards d’années. Ce type de formations est en effet né grâce à la présence de sédiments de micro-organismes, notamment de cyanobactéries, c’est-à-dire des organismes unicellulaires capables de réaliser le processus de photosynthèse et de produire ainsi l’oxygène indispensable au développement d’autres formes de vie.
La collaboration de scientifiques du MnHn a été fondamentale pour déterminer âge, lithologie et provenance de chacune des pierres qui fera l’objet du travail artistique de Tracewska. Parmi les références géographiques figurent : la Structure de Richat (Mauritanie), Woman Lake (Canada), Death Valley (California), Barberton et Pongola (Afrique du Sud), l’Angleterre et la France. Chacun de ces territoires a été habité par des peuples qui possédaient leurs propres légendes sur les origines du monde, que l’on a pu reconstituer avec plus ou moins de précision : berbères, Ojibwés, Timbisha Shoshone, Zoulous, Celtes et Gaulois. Comme la grande majorité de ces cultures reposaient sur une tradition orale, l’ethnologie prend la forme d’un dispositif scientifique pour mieux comprendre les peuples et leurs traditions. Dans les premières phases de cette recherche, les chercheurs ont souvent abordé le sujet avec une certaine liberté, en comblant les lacunes des récits authentiques avec des éléments issus de leur imaginaire. Pour Tracewska, cette approche constitue une source d’inspiration riche. Ce qui est mesurable, rationnel et scientifique se mêle à ce qui est intuitif, pressenti, difficile à saisir.
Les stromatolithes, qui présentent des traces fossiles des êtres vivants qui les ont nourries, se forment dans des environnements marginaux, entre la terre et l’eau. Outre la spécificité des pierres, l’aspect qui rendra cette production unique sera le type de recherche que l’artiste effectuera. Précisément à travers son langage artistique, qui trouve son origine dans des interventions picturales et de mosaïque, Tracewska se penchera sur les mythes et les légendes relatifs aux origines de la vie, à la naissance de la terre et à celle de l’espèce humaine en fonction de la provenance de chaque pierre.
Le thème de la création du monde a fasciné l’humanité tout au long de son histoire. Chaque peuple et chaque culture élabore sa propre cosmogonie. De nombreux phénomènes autrefois expliqués à l’aide de la mythologie, des croyances religieuses ou de la philosophie, trouvent aujourd’hui leur explication dans la science. Pourtant, il subsiste des questions qui échappent encore à la compréhension rationnelle et il est probable qu’il en sera toujours ainsi. Claude Lévi-Strauss l’évoque dans son essai Mythe et signification : « (…) Je ne peux pas imaginer qu’un jour la connaissance scientifique soit achevée et complète. Il y aura toujours de nouveaux problèmes qui apparaîtront au même rythme : car, à mesure que la science parvient à résoudre des questions qui semblaient philosophiques il y a quelques décennies ou un siècle, de nouvelles surgissent, qui jusque-là n’étaient pas perçues comme problématiques. Il y aura toujours un décalage entre la réponse que peut nous fournir la science, et la nouvelle question que cette réponse engendrera. » (Lévi-Strauss, Myth and Meaning, 1978)
Les stromatolithes, objets d’étude scientifique au MNHN, deviennent dans ce projet artistique à la fois protagonistes, matériaux de construction et toile de fond pour les récits mythologiques des origines du monde, développés sur la base des cultures et peuples habitant les lieux où les pierres ont été retrouvées. Ces récits seront suggérés de manière mimétique à travers des interventions picturales minimalistes et les pierres seront des points de départ pour des ajouts en mosaïque, retrouvant une dignité qui souligne leur importance
dans l’histoire de l’humanité.
Eleonora Savorelli